18 février 1958. Mister K part de chez lui pour n’y revenir que sept mois plus tard. Sept mois pendant lesquels il traverse les États-Unis, plongé dans ses souvenirs, roulant à un rythme effréné jusqu’à ce qui semble être le bout du monde.
Dans ce récit d’errance et de fuite aux accents de film noir, Sylvie Meunier entremêle photographies et textes pour créer un hybride, composé à partir de photographies anonymes sur lesquelles l’artiste pose un regard sensible. Les éléments visuels viennent à la fois appuyer et contrebalancer l’histoire, racontée à la première personne par le mystérieux Mister K. Images et textes se rencontrent, font sens et sèment le doute chez le spectateur-lecteur. Se crée alors une confusion entre le vrai et le faux, le réel et la fiction, le vécu et l’imaginaire, qui se retrouve à différents niveaux du récit. L’unité dans le traitement des images, pourtant issues de contextes multiples, donne à l’ensemble une grande cohérence et renforce cette confusion, entretissant ainsi les temporalités, l’invention et les souvenirs. Les trames narratives s’entrelacent et ce road-movie photographique se développe dans un suspense propre au polar. Parcourant les pages, les images et le texte, le lecteur cherche les indices pour démêler le vrai du faux, mais tout reste toujours en suspension. L’histoire ne donne que peu d’éléments auxquels s’accrocher, l’artiste y a volontairement laissé des blancs, du vide. Tout n’est pas dit, ni raconté, et c’est au lecteur de reconstituer l’histoire. Tout détail semble alors faire signe et prend de l’importance.
Les obsessions et les fantômes du personnage vont de paire avec sa vitesse et sa précipitation, rendues sensibles par le rythme du texte qui, dans ses états de confusion, devient acéré, saccadé, comme un souffle court, et sonne parfois comme des songs américaines, refrains entêtants et hypnotiques. Le flou et les imprécisions des images suggèrent que tout peut basculer à tout moment. Il y a dans Mister K un brouillage volontaire des pistes et des informations. La lisibilité est empêchée par le traitement vaporeux qui renforce le mystère et la poésie de l’ensemble, nous laissant dans l’incertitude de la vérité, de la véracité.
Construit sous forme de séquences qui se suivent et s’imprègnent les unes les autres, Mister K est un récit aux formes multiples. Si l’intégralité des séquences est rassemblée dans le livre, elles peuvent également être exposées, ensemble ou séparément. Elles prennent alors de nouvelles formes et le récit affirme son incomplétude, les manques étant comblés par les regards et les imaginaires qui s’y posent et s’y projettent.
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